19 août 1993, 20H 56
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Tu veux la prendre Matt'?L'homme considéra un instant la petite créature endormie dans les bras de la jeune femme. Elle était tellement petite, tellement innocente. C'est si fragile un bébé...
Après réflexion, il la souleva dans ses bras et la colla contre lui, tout contre son cœur. Ses petits doigts se recroquevillèrent sur sa poitrine et il sentit une chaleur intense envahir tout son corps. Il la berça doucement, avec mille délicatesses, rechignant à rompre le contact qui les unissait.
Il compris à cet instant, que pour le reste de sa vie, elle serai la chose la plus importante au monde. Son plus grand trésor...
Doucement, l'homme se pencha à l'oreille du bébé, et se mit à balbutier tendrement :
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Coucou ma puce, coucou ! C'est papa ! Si tu savais comme je t'aime Élisabeth, oh oui je t'aime de tout mon cœur...
Couchée dans son lit d’hôpital, la mère fronça les sourcils. Les cheveux en bataille, les yeux noircis par la fatigue et les traits tirés, elle secoua pourtant vigoureusement la tête.
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Élisabeth... tu ne trouves pas ce prénom un peu solennel ?-
Il n'y a pas cinq minutes tu le trouvais fantastique, riposta l'homme.La mère soupira.
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Il l'est. J'adore ce prénom, c'est juste que je pense que... je ne sais pas... un surnom pourrait être une bonne idée. Je ne me vois pas vraiment appeler ma fille par un nom si long à longueur de journée.Le père jeta un coup d’œil à l'enfant endormi dans ses bras, et déclara tranquillement :
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Lizzy, c'est le diminutif d'Elisabeth.La jeune femme sourit, et lissa une mèche rousse avec satisfaction.
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Lizzy. Oui ça rend bien. J'adopte !L'homme la regarda, béat d'admiration. Il regarda ses cheveux brillants sous le soleil couchant qui filtrait à travers la fenêtre de la chambre. Il regarda son visage, si doux, ses grands yeux noisette et les fossettes de son grand sourire. Même tant de fatigue ne suffisait pas à l'enlaidir. Elle était belle, belle à tout remettre en cause, belle à tout changer. Belle à en mourir pour elle...
Le visage du père s'assombrit soudain. Il rendit maladroitement le bébé à la jeune femme et se mit à fixer évasivement le mur jaune canari, les mains fourrés au fond des poches de sa veste.
La rousse, soucieuse, jeta un regard à son enfant qui s'était mis à gigoter entre ses bras, puis elle en revint à son compagnon.
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Matthew ?... C'est fini, n'est-ce pas ? Tu es parti, ils... ils ne nous retrouveront plus...L'homme resta silencieux.
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Matthew ?!Il se retourna, évitant toujours soigneusement le regard craintif de la jeune femme.
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Non, c'est évident, lâchât il sèchement.
J'ai quitté le milieu, on a changé de noms, d’identités. On a de l'argent pour subvenir à nos besoins pendant des années et en plus on va allez vivre dans un endroit qu'ils ne soupçonneront pas, jamais...Malgré son ton, la rousse sentait un malaise dans son attitude. Il tentait encore de se convaincre lui-même de la véracité de ses propos. Au fond, il n'était sûr de rien.
Le père reprit d'une voix grave.
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Ce qui me gène c'est que, nous devrons restés sur nos gardes, tout le temps, ne faire confiance à personne... La petite n'aura jamais une vie normale. Elle ne pourra pas jouir de la liberté qu'ont les autres enfants, se serai bien trop dangereux. Et j'ai peur qu'elle en souffre, qu'elle ne puisse pas s'épanouir dans de telles conditions...
La jeune femme l’observât quelques instants et lui tendit la main. il soupira et l’attrapa. Elle serra fort sa paume contre la sienne.
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Si elle doit vivre calfeutrée, alors qu'il en soit ainsi. Tout ira bien, on fera attention, et peut être qu'un jour, on pourra lui offrir une vie normale. On la protégera, coûte que coûte, assurât elle.Matthew admira un certain temps sa petite merveille, songeur. Sa mère était vraiment quelqu'un d'incroyable... Malgré sa propre peur, elle trouvait toujours la force de le rassurer. Avec douceur, il vint déposer un baiser sur ses lèvres.
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Je t'aime, soufflât il à son oreille...
Par la fenêtre, le soleil disparaissait pour de bon à l'horizon.
13 juillet 2000-
Nan, pas ici ! On va là !Lizzy prit un violent détour sur le gazon et se propulsa à genou devant une trappe recouverte de terre qu'elle se dépêcha d'ouvrir dans un crissement strident. Elle jeta un regard derrière elle et vit son ami qui venait tout juste d'arriver.
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On y va; toi d'abord princesse, soufflât il...
L'enfant jeta un regard à travers le trou béant et sombre devant elle. C'était noir, complètement noir là dessous. Avec une certaine aisance, elle entreprit de descendre l'échelle dont elle avait déjà tâter chaque parcelle rouillée. Au huitième barreau, pas un de plus, pas un de moins, elle se laissa tomber dans le vide et atterrit souplement sur le sol. Quand elle entendit la trappe se refermer, elle comprit que le garçon était lui aussi descendu.
La petite fille avança précisément de dix pas, les mains en avant, jusqu'à ce que ses mains rencontrent une surface dure. De la brique rouge, pour être exacte. Sa main tâtonna sur la pierre de quelques centimètres à droite et appuya sur l'interrupteur. Dans un grésillement, les néons s'allumèrent, éclairant la pièce de leur lumière blafarde.
D'autant qu'elle se souvienne, l'enfant avait toujours connu ce sous-terrain. Depuis sa naissance elle l'avait maintes fois utilisé avec Seth, pour échapper aux adultes. Les adultes, justement, n'avaient jamais vraiment repéré cette fameuse trappe, ou du moins, ne s'était elle jamais donné la peine d'y prêter attention. Pourtant c'était un peu devenu leur repaire secret, à elle et à lui. Quand ils y étaient, ils se sentaient isolés du monde, et de tout, six pieds sous terre...
La petite se retourna vers le garçon, tout sourire. Celui-ci faisait une bonne tête de plus qu'elle. Logique, quand on sait qu'il avaient deux ans d'écart...
Lui aussi, avec sa chevelure débraillée et ses yeux gris si particuliers lui semblait toujours avoir fait parti du décor. De son décor.
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Je crois qu'on a semé ta mère, déclarât elle joyeusement !
Sa mère était en fait la gouvernante de Lizzy, à ses côtés depuis sa naissance. Pas étonnant que son fils sembla faire parti des meubles...
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Je pense aussi, ajouta le garçon d'un air satisfait.
Tranquillement la fillette s'allongea sur le sol poussiéreux et observa une fourmis égarée trottiner près de sa tête. L'enfant écarta une mèche de cheveux roux qui lui obstruait la vue, pour mieux observer l'insecte. Ses yeux verts se plissèrent devant ses antennes frétillantes.
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On dirait une fourmis rouge, vu son abdomen, souffla la fillette. Et je dirai même que c'est une ouvrière, par rapport à sa morphologie. Elle doit chercher de la nourriture pour sa cité, sans doute.Le garçon fronça les sourcils, et l'observa d'un air étrange. Il ne la regardait jamais ainsi, cela déstabilisa la rouquine.
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C'est ton père, qui t'apprend tous ses trucs ?Elle hocha la tête, perplexe. Où voulait il en venir à la fin ?
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Nan parce que... on apprend pas ça à l'école, insista t-il...
Nous y voilà...
Un sourire moqueur vacillant se dessina sur les lèvres de la rouquine. Elle dégaina d'une voix qui semblait stressée :
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Les fourmis rouges, tu vas pas me dire que c'est un truc compliqué à trouver quand même...-
Y'a pas qu'ça, ajouta le garçon. Tu sais jouer Mozart au piano, compter jusqu'à cent en chinois et tu connais toutes les constellations par cœur... C'est que des trucs de... pas de fille de six ans !Le sourire de la fillette s'évapora. Elle était écœurée qu'après cinq longues années il puisse commencer à lui faire ce genre de remarques. Et puis elle était frustrée aussi, au plus haut point, depuis sa naissance. Il le savait, il savait tout ça et malgré tout...
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Et alors ? Non je vais pas à l'école, oui je sais plus de choses que toi. Tu crois que je ne me sens pas assez bizarre comparé à toi ? Comparé à tous les autres ? Mais tu ne comprends rien... Toi tu as une école, des amis, des activités en dehors d'ici, toit t'as une vraie vie quoi ! Moi j'ai juste... J'ai pas tout ça. Et le pire c'est que je ne sais même pas pourquoi, lâchât elle en balançant un caillou contre le mur.
Seth baissa la tête, paraissant vouloir faire oublier sa présence.
La petite rousse le fixa avec insistance. Seth fit mine de regarder ailleurs.
Elle lâchât une phrase avec une certaine hargne.
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Mais toi, tu sais quelque-chose n'est-ce pas ?Le gamin se retourna lentement, et plongea dans le regard émeraude de Lizzy. Il savait qu'il devait tenir sa langue. On lui avait fait promettre de garder le secret, il ne devait rien révéler, dans l’intérêt de la fillette.
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Je sais... pas grand chose, bafouilla t-il.
Rien d'intéressant, j'ai rien compris...La gamine baissa les yeux, et demanda d'une voix sobre :
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C'est ta mère, hein ?Elle soupira. Il ne lâcherai pas le morceau... Pourquoi fallait il qu'il ait des secrets pour elle ? Il n'en avait jamais eu... Quel est cette chose si ignoble qu'on voulait à tous prix la lui cachée depuis sa naissance.
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Bon, on y va, sinon mes parents à moi vont être vraiment furax, lâchât elle sans dissimuler son exaspération.Elle sentait au fond d'elle même, qu'un jour ou l'autre, elle saurai tout...
7 février 200, 23H 09La petite fille remua dans ses draps bleus. Elle battit des paupières, les sens ralentis par le sommeil. Des bruits résonnaient à l'étage, tout d'abord flous pour son cerveau mal éveillé. Peu à peu, tandis que tout reprenait forme autours d'elle, elle entendit une détonation, un cri, une autre détonation, un bruit de vers brisé, puis un martèlement régulier. On montait l'escalier, ce fameux escalier qui menait au deuxième étage, précisément l'étage de sa chambre, la pièce où elle se trouvait !
Le martèlement avait cesser. La pluie battait contre les vitres dans un rythme étrangement lent. Les éclairs, grondant au loin, éclairait faiblement le petit lit aux draps bleus par à-coups.
Lizzy enfonçait ses ongles dans le matelas, attendant un événement, quelque-chose, n'importe quoi, incertaine. Soudain, son cœur manqua un battement. La poignée de la porte s'abaissa, lentement, comme dans ces films d'horreurs qu'elle n'aurait jamais dû regarder. Elle ne pouvait se douter alors que l'issue de cette nuit n'en serait que comparable...
Quelqu'un, une femme émergea dans la chambre. La fillette se détendit, haletante.
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Maman, souffla-t-elle d'une voix rauque...Mais sa mère ne lui offrit le sourire doux et rassurant qu'elle attendait. Ses traits étaient tendus, ses vêtements défaits, déchirés... Elle était pâle, ses yeux étaient exorbités. Elle se jeta presque sur sa fille; et l’attrapa par la manche de son pyjama. Elle lâcha d'une voix grave qui se voulait la plus calme possible :
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Il faut s'enfuir, vite.-
Quoi ?! Mais... !La grande rousse ne laissa pas le temps à l'enfant de broncher. Elle serra sa main et l'expulsa des draps. Les deux se mirent à courir, empruntant des couloirs sinueux, pour rejoindre une sortie dérobée à l'autre bout du manoir. La fillette avait du mal à suivre, sa génitrice devait la tirer comme un boulet, haletante. Le contact du bois froid et dur contre ses pieds nus lui faisait mal.... Mais la jeune femme devant continuait sa course effrénée, comme poussée par une force invisible.
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Où est papa, geignit la petite en se tenant les côtes.Sa mère ne répondit pas, mais les larmes qui lui montaient aux yeux en disaient long.
Le sang de Lizzy ne fît qu'un tour, ses yeux s’agrandir.
Non, cela ne se pouvait...
Soudain des cris se firent entendre derrière. Tout sembla aller au ralenti : plusieurs personnes qui martèlent le sol, des coups de feu, sa mère qui s'effondre, sa main qui glisse de la sienne...
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MAMAN... !!La fillette tomba à genoux. Elle oublia tout, tout autours d'elle n'était que néant. Il n'y avait qu'elle, et sa mère, juste toutes les deux, quelques secondes encore juste avec elle. Sa main caressa sa joue froide, livide comme la mort. La jeune femme respirai avec de plus en plus de difficultés, crachotant des gerbes de sang. Deux trous dans sa poitrine déversaient sur sa chemise le liquide frais et écarlate L'enfant fourra son visage dans son cou et se mit à sangloter doucement. De ses dernières forces, la jeune femme prit sa fille entre ses bras.
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Lizzy... je suis désolée... de ce qui va... arriver...Elle toussa à s'en décrocher les poumons. De son dernier souffle, elle articula :
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Tes parents ont échoué... Mais je t'aime, ton père t'aime... C'est pour toujours, ne l'oublies pas...Puis dans un unique sursaut, un dernier tressaillement, son cœur cessa de battre.
Lizzy entendit un des gars crier derrière.
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Elle est crevée, choppez la gosse putain !La réalité la rattrapait, tout revenait en accéléré comme un boomerang dans son ventre...
Sans qu'elle puisse comprendre, elle décolla du sol, et ses coups de pieds, coups de coudes, tentatives de morsures n'y firent rien. Un des tueurs, cagoulé, la chargea sur son épaule. Mais ça n'avait plus d'importance.
Et tandis qu'elle s'éloignait dans la forêt qui avait été la limite de sa liberté pendant six ans, ballotée de droite à gauche, elle vit les hommes mettre le feu à son manoir. C'est plus qu'une maison qu'ils brûlaient; c'était sa prison dorée, son chez soi, la première partie de sa vie... Tout partait en fumée, ça faisait trop mal, c'était insoutenable ! C'était fini, comme ça...
Elle ferma les yeux, trempée par l'averse, la peau souillée par le sang de sa mère. Elle sentant une pression, de plus en plus forte, monter dans sa poitrine. Et soudain, de toute la force de ses poumons, de toute sa rage et son désespoir, elle hurla. Personne ne la fît taire. L'écho de son cœur déchiré s'éleva jusqu'aux grands arbres centenaires, surpassant le bruit de la pluie, et de l'orage. La dernière phrase de sa mère, meurtrière, torturait son esprit.
"C'est pour toujours, ne l'oublies pas..."
Ses parents, ils lui avaient donné leur amour. Pour quoi faire ? Ils ne lui dirent pas d'être forte, ou de survivre, ils ne firent que leur donner une dernière fois leur putain d'amour, avant de la laisser, pour toujours...
Ce n'était pas l'amour qui l'avait sauver, seulement sa capacité d'adaptation.
Les années qui suivirent l'incendie, la jeune fille jugée "suffisamment futée pour faire une bonne recrue" se retrouva en période d'apprentissage privilégié. On la trimbala de pays en pays, on lui fournit des fausses identités pour échapper aux autorités. Ils l'obligèrent à apprendre, à devenir comme eux. Ils ne se rendaient pas compte qu'elle deviendrait pire encore...
Sulyvan Nataro appelé plus communément Suly' se prit d'affection pour la gamine prodige du crime. Il s'occupa d'elle, beaucoup plus que les autres. Il lui enseignant l'art du mensonge et de l'indifférence, l'aidant dans ses premières opérations. Il était un maitre dur, toujours plus exigeant, lui infligeant même des punitions physiques intenses quand elle osait parler de sa vie d'avant. Mais il n'était pas si mauvais qu'il voulait le faire croire... Suly' était là pour la soutenir, lorsqu'elle abattit pour la première fois une pourriture de proxénète un peu trop "gênant" de trois balles dans la tête. C'est lui qui lui conseilla de se servir de ses formes comme d'un piège mortel, quitte à la pervertir.
L'achèvement de son œuvre était parfaite : Lizzy était sous son contrôle, parfaite arme de guerre pour leur groupe duquel elle avait hérité du poste haut placée "d'homme de confiance".
Le genre à faire le ménage...
Oui mais voilà, après une série réussie de meurtres chez des ennemis un peu trop "puissants" en Amérique, la jeune fille se vit menacée à son tour de mort. Quand Suly' apprit que plusieurs de ceux qui avaient fait partie de l'opération s'étaient déjà fait descendre dans les pires souffrances, le professeur décida de protéger sa jeune élève.
Avec une autre nouvelle identité, de l'argent, il l'envoya se planquer en France, la privant de tous contacts avec le groupe quelque temps pour plus de sécurité.
Plus de sécurité, quelle ironie...
La rouquine s'installa à Paris. Là, elle espérait bien retrouver une ancienne connaissance.
Elle ne se doutait pas des conséquences que cela engendrerai sur elle...
à finir